Les États-Unis en marche vers un techno-fascisme? | Revue de presse n°24
J'ai sélectionné des nouvelles importantes sur l'intelligence artificielle pendant la semaine du 15 au 21 septembre 2025. Voici mon commentaire.
Bienvenue dans la 24ème revue de presse de Réalité artificielle. Je me suis focalisé cette semaine sur la possible émergence d’un fascisme technologique aux États-Unis, sur les risques existentiels des superintelligences artificielles, sur le modèle de langage suisse Apertus et sur l’entreprise d’analyse de données Palantir. Bonne lecture!
📰 À lire
Les États-Unis en marche vers un techno-fascisme?
La collusion entre la Silicon Valley et Washington relance le débat sur le retour d’une forme de fascisme aux États-Unis, indique Le Temps dans un article publié vendredi.
Cette proximité était déjà bien visible lors de la cérémonie d’investiture de Donald Trump en janvier. Tous les grands patrons de la Silicon Valley se trouvaient alors aux premiers rangs, dans une démonstration d’allégeance.
Elon Musk, Mark Zuckerberg, Jeff Bezos and Sundar Pichai attend Trump's inauguration (Associated Press)
Cette collaboration entre l’industrie technologique et le gouvernement fédéral était encore plus évidente lors d’un récent dîner à la Maison-Blanche lors duquel les dirigeants de la tech Mark Zuckerberg (Meta), Sam Altman (OpenAI), Tim Cook (Apple), Sundar Pichai (Google), Satya Nadella et Bill Gates (Microsoft) ont chacun leur tour complimenté le président.
Trump hosts top tech CEOs, not including Elon Musk, at White House dinner (PBS)
«Ce serait réducteur de présenter le ralliement de la Silicon Valley à l’administration Trump comme un fait nouveau uniquement motivé par une forme d’opportunisme déguisé en pragmatisme politique», analyse la journaliste Nastasia Hadjadji, coautrice avec Olivier Tesquet d’Apocalypse Nerds. Comment les techno-fascistes ont pris le pouvoir. Elle soutient que la Californie est plutôt acquise au camp démocrate mais que les principales figures dirigeantes de la tech ont toujours été en contact avec les mouvements contre-révolutionnaires.
«La Silicon Valley n’est pas un bloc homogène, elle est travaillée par des idéologies antagonistes», souligne la journaliste. «Actuellement, elle est dominée par le retour en force d’une vision élitiste, fondée sur des concepts controversés comme la race et le quotient intellectuel, et le désir de forger une nouvelle humanité augmentée par la technologie.»
Techno-fascisme
«Il faut sortir de la fable selon laquelle la Silicon Valley est une joyeuse utopie démocrate ou hippie», affirme Olivier Tesquet. Le fait que les grands patrons de la tech se soient ralliés à Donald Trump n’a donc rien de surprenant à ses yeux.
Dans son livre Apocalypse Nerds, le journaliste mobilise la notion de techno-fascisme pour analyser l’alliance entre le trumpisme et la Silicon Valley. Selon lui, le fascisme est constitué de trois invariants «qui transparaissent dans le nouvel exercice du pouvoir américain».
L’idée d’une contre-révolution anti-moderne. «Il faut comprendre ici la notion de modernité politique, celle du “wokisme” honni par exemple, et non pas du progrès technologique», précise Olivier Tesquet.
«Une rhétorique qui mobilise implicitement la violence et l’exclusion des indésirables comme un élan vital pour régénérer la nation. Celle-ci transparaît particulièrement dans les dernières prises de parole du vice-président des États-Unis, J. D. Vance, après l’assassinat de l’influenceur Charlie Kirk.»
Le primat de la race. «On le retrouve dans l’obsession de ces élites cognitives pour le QI, ou dans leur fascination pour les théories eugénistes, dont on observe un retour en force», conclut Olivier Tesquet.
Pour Asma Mhalla, autrice de l’essai Technopolitique, sur lequel j’ai écrit un article, et de Cyberpunk. Le nouveau système totalitaire, le trumpisme partage plusieurs points communs avec le fascisme: la xénophobie, la désignation d’un bouc émissaire, le culte de la personnalité et le discours ultranationaliste. Il ne coche cependant pas toutes les cases car «Donald Trump continue d’exercer dans un cadre démocratique, même si celui-ci est affaibli, et il n’y a pas non plus de répression physique de masse de l’opposition à ce stade», ajoute-t-elle.
Écouter: Le trumpisme est-il un fascisme? (Le Monde)
Prise de pouvoir
Les industriels de la tech assument désormais pleinement leur volonté de prendre le pouvoir, estime Frédéric Neyrat, auteur de Traumachine. Intelligence artificielle et techno-fascisme. «Pour moi, l’une des séquences révélatrices, c’est la conférence de presse d’Elon Musk dans le Bureau ovale. Elle témoigne d’une présence physique de ces acteurs au sein même des institutions.»
Trump, Elon Musk Full Press Conference in Oval Office (The Wall Street Journal)
L’implication d’Elon Musk au sein de l’administration à Washington a aussi marqué un tournant car il s’est appuyé sur des algorithmes pour prendre des décisions visant à réduire drastiquement les dépenses de l’État, selon Frédéric Neyrat. «La prochaine étape, c’est de recourir à l’intelligence artificielle pour orchestrer les services publics», estime le philosophe.
Le Département de l’efficacité gouvernementale (Doge), initialement mené par Elon Musk, a d’ailleurs profité de son accès à des bases de données gouvernementales pour créer un système permettant de surveiller les immigrés sans papiers, selon Wired.
L’entreprise d’analyse de données Palantir joue également un rôle important au sein de la Maison-Blanche, notamment dans sa lutte contre l’immigration illégale. Elle est aussi suspectée de créer une base de données massive sur toute la population.
Palantir est également active au sein de l’armée et a récemment remporté un contrat de 10 milliards de dollars pour moderniser son infrastructure informatique.
De façon générale, on peut observer une hausse de la surveillance aux États-Unis, permise notamment par des programmes d’intelligence artificielle comme la reconnaissance faciale et les lecteurs automatiques de plaques d’immatriculation ainsi que par des drones militaires et des simulateurs d’antennes téléphoniques.
Finalement, pour éviter de devenir la cible du président, les principales entreprises technologiques étatsuniennes, telle que Meta, ont revu leur politique de modération afin de ne plus filtrer certains contenus de droite sur les réseaux sociaux. Apple a également ajusté son modèle d’IA afin qu’il soit adapté à l’ère Trump, a révélé Politico.
Les Lumières obscures
Le vice-président J.D. Vance, autre figure très importante aux côtés de Donald Trump, ne cache pas son intérêt pour la néo-réaction, un courant de pensée aussi appelé les Lumières obscures (Dark Enlightenment) qui a été cofondé par Curtis Yarvin, un intellectuel d’extrême-droite. D’après Yarvin, la démocratie a démontré son inefficacité dans sa capacité à organiser la société et devrait être remplacée par un régime autoritaire d’essence monarchique.
Un autre intellectuel de droite, Peter Thiel, a aussi une grande influence au sein de l’administration Trump. Le cofondateur de PayPal et de Palantir est un proche de Donald Trump et de J.D. Vance. Le vice-président a travaillé pendant deux ans pour un le fonds de capital-risque Mithril Capital, cofondé par Peter Thiel en 2015. Quelques années plus tard, l’investisseur figurait parmi les principaux donateurs de la campagne de J.D. Vance pour le Sénat, avec un soutien s’élevant à près de 15 millions de dollars. C’est également lui qui a oeuvré dans les coulisses pour convaincre Donald Trump de choisir J.D. Vance comme colistier en 2024.
Et que pense Peter Thiel de la démocratie? En 2009, le milliardaire écrivait dans un texte publié en ligne: «Je ne crois plus désormais que la liberté et la démocratie sont compatibles.»
L’actuel climat explosif aux États-Unis, marqué notamment par l’assassinat de Charlie Kirk, un activiste de droite proche de Donald Trump, pourrait être un point de bascule permettant à la Maison-Blanche d’accélérer encore davantage la transformation politique de la société.
We’re Experts in Fascism. We’re Leaving the U.S. (New York Times Opinion)
Sept nouvelles importantes cette semaine
Un nouvel implant développé à Lausanne rétablit la pression artérielle des personnes tétraplégiques (RTS)
ChatGPT tricked to swipe sensitive data from Gmail (The Verge)
«Nous allons perdre le contrôle»: comment les catastrophistes de l’IA haussent le ton (Le Monde)
Meta Accused of Torrenting Porn to Advance Its Goal of AI ‘Superintelligence’ (Wired)
Meta created its own super PAC to politically kneecap its AI rivals (The Verge)
🎥 À regarder
Les risques existentiels d’une superintelligence artificielle
Dans un épisode récent de System Update, le journaliste Lee Fang interviewe Nate Soares, président du Machine Intelligence Research Institute et coauteur du livre If Anyone Builds It, Everyone Dies. Why Superhuman AI Would Kill Us All. Ils discutent des risques existentiels liés à la création d’une intelligence artificielle générale.
«Les entreprises d’IA se précipitent dans cette direction [de la superintelligence artificielle] aussi vite qu’elles le peuvent. Elles le disent clairement. Si vous examinez ces sociétés, elles ont été créées dans le but d’atteindre l’intelligence artificielle générale, la superintelligence artificielle. Ces laboratoires disent: “Nous visons ces objectifs.” Ces laboratoires n’ont pas été créés pour développer des chatbots, ils ont pour ambition de développer des IA bien plus puissantes et les chatbots ne sont qu’une étape sur ce chemin.»
«Les questions liées aux deepfakes, à la compensation des artistes pour l’art généré par l’IA, les questions liés aux pertes d’emploi, ce sont toutes des problématiques importantes concernant la façon dont l’humanité intégrera les technologies d’IA actuelles. Il y a également des questions concernant les armes. Ce sont des enjeux que la société doit affronter. Les ordinateurs communiquent désormais, ils offrent une grande polyvalence (…). Et il y a une autre problématique distincte qui vient du fait de créer des machines plus intelligentes que n’importe quel humain, des machines capables d’agir de leur propre initiative, des machines (…) qui, même en n’utilisant que des technologies actuelles, auront des intentions, des buts et des objectifs que nous ne leur avons pas donnés.»
- Nate Soares
"Why Superhuman AI Would Kill Us All:" Researcher Warns of Existential AI Risk (Glenn Greenwald)
Sept vidéos importantes cette semaine
Apertus, l'intelligence artificielle suisse, promet de s'améliorer (RTS)
I Live Next To Amazon's Largest Data Center. They're Stealing Our Water (More Perfect Union)
Your Doctor Said Yes. AI Said No. (Vanessa Wingårdh)
Why Wall Street Loves Oracle Again (Bloomberg)
Why People Are Roleplaying Robot Racism (Taylor Lorenz)
Forget AI, The Robots Are Coming! (ColdFusion)
AI Hype is 'Biggest Bubble' in Private Tech, Says Jack Selby (Bloomberg)
🔈 À écouter
Apertus sous la loupe
Dans le nouvel épisode de IA qu’à m’expliquer, le journaliste Grégoire Barbey interviewe Antoine Bosselut, l’un des architectes du modèle de langage suisse Apertus qui a été lancé début septembre.
Écouter IA qu’à m’expliquer sur Le Temps
Les liens entre Palantir et Washington
Dans le nouvel épisode de Tech Won’t Save Us, les journalistes Paris Marx et Caroline Haskins discutent de l’entreprise d’analyse de données Palantir et de son influence au sein du gouvernement étatsunien.
Écouter Tech Won’t Save Us sur Youtube Music
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Bonne semaine et à dimanche prochain,
Arnaud