La Suisse lance le modèle de langage Apertus | Revue de presse n°22
J'ai sélectionné des nouvelles importantes sur l'intelligence artificielle pendant la semaine du 1er au 7 septembre 2025. Voici mon commentaire.
Bienvenue dans la 22ème revue de presse de Réalité artificielle. Je me suis focalisé cette semaine sur un nouveau modèle suisse d’intelligence artificielle, sur une entreprise controversée d’analyse de données et sur l’IA dans les médias. Bonne lecture!
📰 À lire
La Suisse lance le modèle de langage Apertus
L’École polytechnique fédérale de Lausanne a lancé mardi un nouveau modèle de langage intitulé Apertus en collaboration avec l’École polytechnique fédérale de Zurich et le Centre suisse de calcul scientifique, rapporte Le Temps.
Les modèles de langage sont une technologie d’intelligence artificielle sur laquelle sont basés les agents conversationnels tel que ChatGPT. Le chatbot d’OpenAI utilise par exemple plusieurs modèles de langage tels que GPT-5 ou GPT-4o, chacun ayant ses caractéristiques propres. Ces modèles sont entraînés sur de vastes corpus de données, notamment des textes, pour apprendre à répondre aux questions des utilisatrices et utilisateurs dans un langage naturel.
Le nom du modèle de langage suisse, Apertus, signifie «ouvert» en latin. Il reflète le fait que ce modèle d’IA est open source, c’est-à-dire que ses paramètres et son code sont publics et que toute entreprise, administration ou personne peut l’utiliser librement et gratuitement. De plus, il n’a été entraîné que sur des données ouvertes, non protégées par des droits d’auteur.
Apertus: a fully open, transparent, multilingual language model (EPFL)
Une alternative aux géants de la tech
Antoine Bosselut, directeur du Laboratoire de traitement du langage naturel à l’EPFL et coresponsable de la Swiss AI Initiative, une organisation des EPF et de la Confédération, estime qu’il est important que la Suisse dispose de son propre modèle d’intelligence artificielle.
«Dans certains domaines, [l’IA] surpasse les performances humaines, c’est dire sa puissance. Mais attention, ces services, ces modèles de langage sont conçus par une poignée de géants de la technologie qui gardent secrète leur conception et les données sur lesquels ils ont été construits. Et c’est un énorme problème. Nous ne pouvons pas accepter que les bases de l’IA, si puissante, soient entre les mains d’une fraction de multinationales», affirme-t-il dans les colonnes du Temps. Apertus se veut donc être une alternative aux modèles commerciaux déjà disponibles.
L’EPFL, l’EPFZ et le Centre suisse de calcul scientifique (CSCS) se sont donnés les moyens de leur ambition. Près de 150 ingénieurs et professeurs ont développé Apertus en bénéficiant de la puissance du supercalculateur Alps à Lugano. Cet ordinateur, l’un des plus puissants de la planète, est équipé de 10’000 processeurs graphiques de dernière génération et a coûté quelque 100 millions de francs. Au total, la facture pour ce modèle de langage s’élève entre 5 et 10 millions de francs, en comptant le matériel, l’énergie et les salaires.
Apertus a une visée internationale, avec 1000 langues traitées lors de son entraînement. Il est disponible en deux versions, l’une à 8 milliards et l’autre à 70 milliards de paramètres, tout comme l’était le modèle de langage Llama 3, développé par Meta, lors de son lancement en avril 2024.
«Les résultats ne sont pas extraordinaires»
Le collectif Public AI, qui soutient les projets d’intelligences artificielles publiques, a rapidement mis en ligne un chatbot reposant sur Apertus, à l’adresse https://publicai.co. Celui-ci est utilisable gratuitement.
Le journaliste du Temps Anouch Seydtaghia l’a testé. Dans un article publié le lendemain du lancement d’Apertus, il déplore que «les résultats ne sont pas extraordinaires». Il donne plusieurs exemples:
«Le chatbot construit sur Apertus affirme par exemple que l’EPFL se situe sur la commune de Pully (alors qu’elle est établie à l’ouest de Lausanne). Il écrit aussi que Guy Parmelin est né à Bursins, “une commune genevoise” (alors que c’est une commune vaudoise) et que “son élection à la présidence est remarquable car il devient le premier président de la Confédération suisse du canton de Vaud depuis plus d’un siècle” (ce qui est faux, car il y eut notamment Jean-Pascal Delamuraz).»
«Ces erreurs ne m’inquiètent pas»
D’autres critiques concernant Apertus ont été publiées en ligne, notamment sur LinkedIn. «Désolé ce LLM est une honte… nous avons besoin d’un peu plus de rigueur surtout de la part de notre EPF… Ce LLM est le pire jamais testé lors de son lancement… les hallucinations sont fréquentes», écrit par exemple Xavier Comtesse, président du groupe de réflexion Manufacture Thinking.
Interviewé dans un article du Temps publié vendredi, Steph Cruchon, le directeur de Design Sprint, un atelier d’innovation basé à Lausanne, estime qu’«en innovation, pour arriver à quoique ce soit de “bon”, il faut passer par diverses phases, un prototypage, des tests, une première version minimale, des tests, d’autres versions… C’est un processus tout à fait normal. Mais ce qui n’est pas normal, c’est de sortir publiquement un produit aussi tôt. En deux requêtes on se rend compte du manque criant de temps d’entraînement ou de données accessibles pour entraîner le modèle. Pourquoi ne pas l’avoir gardé en interne plus longtemps?»
Antoine Bosselut reste toutefois confiant: «Ces erreurs ne m’inquiètent pas, je comprends qu’il y ait des attentes très importantes envers Apertus», déclare-t-il au Temps. «Nous allons sans cesse améliorer notre modèle et sommes à l’écoute de tous les retours», ajoute-t-il.
Un jalon éthique et politique
Nicolas Naully, spécialiste en intégration de services d’IA générative, estime qu’Apertus bénéficie de qualités autres que les simples performances techniques:
«Bien sûr, si on compare brutalement Apertus à ChatGPT ou Claude, l’écart technique saute aux yeux. Mais ce qui est vraiment pertinent, c’est la qualité de sortie sur des corpus validés et contextualisés. Il y a aussi l’application de principes d’IA responsable dès la base: respect de la propriété intellectuelle, transparence sur les données, diversité linguistique et culturelle intégrée. Et enfin, la possibilité d’offrir un socle open source à des usages suisses et européens, sans dépendre des géants américains. Apertus pose un jalon éthique et politique que beaucoup de critiques ignorent.»
Le Temps souligne que de nombreux observateurs louent la volonté de la Suisse de proposer une alternative aux services des grandes entreprises d’IA. Ce nouveau modèle bénéficie de fondements éthiques solides mais devra encore être amélioré, selon l’avis général. Pour Grégory Mermoud, professeur associé à l’Institut d’informatique de la HES-SO Valais, «le vrai test viendra de la capacité de l’équipe d’Apertus à continuer d’itérer et de s’améliorer, avec des budgets qui restent en vie après une sortie que l’on pourrait qualifier de chaotique».
Regarder: Des chercheurs suisses lancent le premier modèle IA transparent et ouvert à tous (RTS) et Des chercheurs suisses lancent Apertus, un modèle IA de langage ouvert: interview de Martin Rajman (RTS)
Sept nouvelles importantes cette semaine
ChatGPT annonce un contrôle parental après un suicide d’adolescent (Le Monde)
FTC Prepares to Question AI Companies Over Impact on Children (The Wall Street Journal)
Is It Safe to Upload Your Photos to ChatGPT? (The Wall Street Journal)
La Silicon Valley prend un virage militaire inédit, de Google à Palantir (Le Monde)
Tech leaders take turns flattering Trump at White House dinner (The Verge)
🎥 À regarder
L’IA au service de Palantir
Dans une vidéo publiée mercredi, France Culture lève le voile sur Palantir, une multinationale controversée qui propose des services d’analyse de données à des administrations publiques, des services de renseignement, des armées et des entreprises, notamment à l’aide de l’intelligence artificielle.
Palantir, dont le siège européen est basé en Suisse, vit actuellement une ascension fulgurante, avec une hausse de 600% de son action en un an. Aux États-Unis, son premier marché mondial, l’entreprise est accusée de créer une base de données massive sur la population, soulevant de nombreuses inquiétudes en termes de surveillance de masse et de protection de la vie privée.
Interviewé dans l’émission Question du soir, Valentin Goujon, doctorant en sociologie au médialab de Sciences Po, coordinateur du groupe de travail «Matérialités du numérique» au Centre Internet & Société du CNRS, livre une analyse précise de Palantir et de ses activités à travers le monde.
Palantir: la firme qui voulait tout voir et contrôler
Sept vidéos importantes cette semaine
How Your Tax Dollars Built Palantir's Global Surveillance Empire (Vanessa Wingårdh)
Chercheur en IA: "Je peux faire dire ce que je veux à ChatGPT." (Le Futurologue)
ICE can hack your phone without you knowing (Taylor Lorenz)
Real Life "Skynet" (Upper Echelon)
This $7.5 Billion Startup Says AI Surveillance Is The Future Of Fighting Crime (Forbes)
Combats de drones (RTS)
Weapons company founded by 21-year-old lands a U.S. Army contract (NBC News)
🔈 À écouter
L’IA dans les médias
Dans le nouvel épisode de IA qu’à m’expliquer, le podcast du Temps sur l’intelligence artificielle, le journaliste Grégoire Barbey revient sur les principaux événements des dernières semaines dans l’industrie de l’IA.
Il interviewe également le journaliste et consultant Jean Abbiateci, ancien rédacteur en chef adjoint du Temps, au sujet de l’utilisation de l’IA au sein des médias.
Écouter IA qu’à m’expliquer sur Le Temps
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Bonne semaine et à dimanche prochain,
Arnaud