L'entreprise controversée Palantir courtise la Suisse | Revue de presse n°33
La société étatsunienne à la réputation sulfureuse propose ses logiciels au gouvernement fédéral et tisse des liens depuis Zurich. Voici une sélection de nouvelles sur l'IA du 1er au 14 décembre 2025.
Bienvenue dans la 33ème revue de presse de Réalité artificielle. Ce numéro est consacré à la société californienne Palantir ainsi qu’aux annotateurs de données qui entraînent des systèmes d’intelligence artificielle, parfois au détriment de leur santé mentale.
Je serai en vacances dans deux semaines donc je publierai la prochaine revue de presse à la mi-janvier. Bonne lecture et bonnes fêtes de fin d’année!
📰 À lire
L’entreprise controversée Palantir courtise la Suisse
Spécialisée dans l’analyse de données, la société étatsunienne Palantir a proposé ses services à de nombreux offices fédéraux ainsi qu’à l’armée suisse ces dernières années. Elle aurait essuyé au moins neuf refus, notamment en raison de ses liens avec des agences de renseignement, selon une enquête en deux parties de Republik et du collectif de recherche WAV qui a été commentée par Le Temps.
Palantir, qui utilise notamment l’intelligence artificielle pour le traitement des données, est surtout connue pour ses liens avec la police de l’immigration aux États-Unis. Les employé·es de l’agence ICE (Immigration and Customs Enforcement) utilisent des logiciels de l’entreprise pour traquer, surveiller, arrêter et renvoyer des migrants en situation irrégulière. Leur campagne de déportation massive est devenue particulièrement intense, et parfois violente, depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Where ICE Has Taken The Most People (Wired)
Palantir est aussi suspectée de créer une base de données massive sur toute la population aux États-Unis, ce que des sénateurs démocrates qualifient de «cauchemar de surveillance».
Les activités de l’entreprise ne se limitent toutefois pas au pays où elle a son siège. Elle a des contrats avec des gouvernements, des polices et des services de renseignement à travers le monde, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada et en Australie. Elle vend également un programme à usage principalement civil intitulé Foundry. De nombreuses entreprises l’utilisent pour intégrer, analyser et visualiser des données à grande échelle afin d’optimiser leurs processus et faciliter leurs prises de décisions.
Les programmes de Palantir sont aussi utilisés en zones de guerre, notamment en Ukraine et à Gaza. En avril 2025, le cofondateur et directeur de l’entreprise, Alex Karp, a été interpellé lors d’une conférence au forum The Hill & Valley. Il a alors reconnu que les logiciels de Palantir sont effectivement utilisés à Gaza pour tuer «principalement des terroristes».
‘Our AI kills Palestinians’: Palantir CEO Alex Karp on Gaza war (Middle East Eye)
Dans un appel avec des investisseurs en 2024, Alex Karp avait déclaré que son entreprise doit «disrupter les institutions avec lesquelles elle travaille […] et, quand c’est nécessaire, effrayer ses ennemis et parfois les tuer».
L’autre cofondateur principal de Palantir est Peter Thiel, un investisseur influent tout aussi controversé que l’entreprise qu’il a créée en 2003 suite aux attentats du 11 septembre, alors que les États-Unis avaient lancé une vaste «guerre contre le terrorisme». Soutien de Donald Trump depuis 2016, le milliardaire écrivait quelques années plus tôt: «Je ne crois plus que la liberté et la démocratie sont compatibles.»
Depuis le début du second mandat de Trump, Palantir a signé un contrat de 10 milliards de dollars avec l’armée des États-Unis et sa valorisation a quadruplé, dépassant les 400 milliards de dollars.
Écouter: Palantir is Thriving Under Trump (Tech Won’t Save Us)
Présente à Zurich
Palantir s’est installée en Suisse en 2021, d’abord à Schwytz puis à Zurich, où elle emploie une soixantaine de personnes. La plus grande ville du pays est même devenue une des bases principales de l’entreprise pour ses activités internationales.
Regarder: Zurich, le nouveau hub européen de l’intelligence artificielle (RTS)
L’éditeur de logiciels, fort de 4000 employé·es dans le monde, n’a toutefois pas réussi à convaincre les autorités suisses d’utiliser ses programmes. Les autrices et auteurs de l’enquête publiée par Republik ont pu documenter ses différentes tentatives dans le pays en déposant 59 demandes fondées sur la loi fédérale sur la transparence auprès de 41 offices fédéraux, dont la grande majorité ont répondu favorablement.
Plusieurs inquiétudes
Palantir a par exemple participé à un appel d’offres en 2020 pour le système informatique du Service de renseignement de l’armée suisse, sans succès. Selon Armasuisse, l’offre ne remplissait pas un critère obligatoire du cahier des charges. Ce critère précis reste inconnu à ce jour et le Bureau fédéral de l’armement refuse d’en parler.
L’entreprise a de nouveau essayé quatre ans plus tard, en s’adressant directement au chef de l’armée, Thomas Süssli. Un responsable européen de la société a notamment promu des solutions permettant «d’appliquer des algorithmes ou de l’intelligence artificielle aux données». Une analyse commandée par l’état-major n’a cependant pas convaincu les autorités helvétiques.
Les auteurs du rapport ont reconnu les performances du logiciel de Palantir mais ont souligné les conséquences négatives qu’un tel partenariat avec une société étrangère pourrait avoir sur la souveraineté et la sécurité des données. Les experts de l’armée estiment en outre qu’il est possible que le gouvernement étatsunien et ses services de renseignement puissent accéder à des données sensibles qui se trouveraient sur les serveurs de Palantir.
L’armée suisse a également exprimé des inquiétudes d’ordre éthique car la collecte massive de données et leur analyse pourraient empiéter sur la vie privée des personnes concernées. Il y a aussi un risque que certaines personnes se retrouvent ciblées à tort en raison de corrélations statistiques.
Palantir a également proposé ses logiciels à l’Office fédéral de la santé pour le traçage des contacts pendant la pandémie du coronavirus et pour «le monitoring de la stratégie vaccinale Covid-19». L’entreprise a aussi démarché l’Office fédéral de l’informatique et des télécommunications, l’Office fédéral de la statistique, le Secrétariat d’État aux affaires financières internationales et le Service de lutte contre le blanchiment d’argent.
Des liens en Suisse
Même si Palantir n’a pour l’instant pas noué de relation commerciale avec les autorités helvétiques, elle ne souhaite pas s’en arrêter là. Dans un entretien accordé à Republik et à WAV, une cadre de Palantir a déclaré que l’entreprise a proposé ses produits à différents acteurs sans succès «jusqu’à présent» et qu’elle reste très ouverte à une coopération.
Le gouvernement fédéral n’est pas le seul client potentiel de la société et celle-ci entretient déjà des partenariats de longue dates avec des acteurs locaux. Des entreprises comme Swiss Re et Novartis, par exemple, utilisent un logiciel de Palantir pour analyser leurs données commerciales.
L’an passé, l’éditeur Ringier (propriétaire de Blick et de l’Illustré, entre autres) a prolongé de cinq ans le contrat passé avec l’entreprise californienne, principalement pour des solutions d’intelligence artificielle. Laura Rudas, vice-présidente exécutive de Palantir, a par ailleurs siégé au conseil d’administration de la société suisse.
Le dernier numéro du magazine Interview by Ringier contient d’ailleurs un entretien avec Alex Karp, qui a également été publié sur le site de Blick. Cette interview a été pointée du doigt sur les réseaux sociaux pour l’absence de questions critiques et de mention des liens d’intérêt entre Palantir et Ringier, rapporte Le Temps.
Palantir est également membre de Digitalswitzerland, une organisation en faveur de l’innovation numérique fondée en 2015 par Marc Walder, le directeur général de Ringier. Celle-ci avait notamment fait un don de 150’000 francs à la campagne en faveur du oui à l’identité électronique en Suisse.
Sur ce sujet: L’identité électronique en Suisse, une bonne ou mauvaise idée?
Estelle Pannatier, responsable de plaidoyer chez AlgorithmWatch Suisse, estime que certains services proposés par Palantir vont à l’encontre des valeurs d’une société démocratique. Elle observe les liens que l’entreprise a tissés en Suisse avec préoccupation: «Il est heureux de constater que les autorités suisses ne sont pas tombées sous le charme du marketing agressif de Palantir, constate-t-elle. Toutefois, les liens opaques entre les grandes entreprises suisses et Palantir sont inquiétants», a-t-elle déclaré au Temps.
Palantir: la firme qui voulait tout voir et contrôler (France Culture)
Sept nouvelles importantes
Pete Hegseth Says the Pentagon’s New Chatbot Will Make America ‘More Lethal’ (404 Media)
Border Patrol Agent Recorded Raid with Meta’s Ray-Ban Smart Glasses (404 Media)
How China is using AI to extend censorship and surveillance (The Washington Post)
🎥 À regarder
La face cachée de l’IA générative
La RTS a publié un reportage sur les annotateurs de données qui oeuvrent dans l’ombre pour entraîner des systèmes d’intelligence artificielle. Soumis à des conditions de travail souvent précaires, ces millions d’hommes et de femmes à travers le monde doivent parfois traiter des contenus violents et choquants, au détriment de leur santé mentale.
Nettoyeurs du web: la face cachée de l’I.A. générative (RTS)
Sept vidéos importantes
Le Conseil fédéral doit revoir son projet de surveillance des communications (RTS)
Zurich, le nouveau hub européen de l’intelligence artificielle (RTS)
Trump To Ban States From Regulating AI (Breaking Points)
Big Tech’s AI Debt Will Crash the Economy (Vanessa Wingårdh)
Sam Altman Declares ‘Code Red’ at OpenAI & Delays Ads Effort (The Information)
Sam Altman Says Raises Babies With ChatGPT (Breaking Points)
Revealed: Sam Altman’s OpenAI Is ‘Money Loss Machine’ (Breaking Points)
🔈 À écouter
Palantir et l’essor de la surveillance
Dans le podcast Today in Focus du Guardian, la journaliste Nosheen Iqbal interviewe l’auteur Michael Steinberger, dont l’essai The Philosopher in the Valley: Alex Karp, Palantir and the Rise of the Surveillance State a été publié en novembre.
Ils discutent notamment du directeur de Palantir, de l’histoire de l’entreprise, de ses activités dans le monde et de ses relations avec l’armée étatsunienne.
La journaliste Johana Bhuiyan conclut cet épisode en décrivant les liens entre Palantir et la police de l’immigration aux États-Unis et le système de santé publique au Royaume-Uni.
Écouter Today in Focus sur The Guardian
Merci d’avoir lu la 33ème revue de presse de Réalité artificielle. Abonne-toi gratuitement pour recevoir les revues directement dans ta boîte mail. Avec un abonnement payant, tu auras également accès à tous les articles ainsi qu’à une newsletter mensuelle exclusive. Merci pour ton soutien!
À bientôt,
Arnaud





