Des étudiants suisses entraînent des intelligences artificielles | Revue de presse n°17
J'ai sélectionné des nouvelles importantes sur l'intelligence artificielle pendant la semaine du 28 juillet au 3 août 2025. Voici mon commentaire.
Bienvenue dans la dix-septième revue de presse de Réalité artificielle. Je me suis focalisé cette semaine sur une entreprise d’IA étasunienne qui recrute en Suisse, sur le capitalisme de surveillance et sur les bunkers des grands patrons de la tech. Bonne lecture!
📰 À lire
Des étudiants suisses entraînent des intelligences artificielles
Outlier, une entreprise étasunienne spécialisée dans l’annotation de données, recrute des étudiants en Suisse pour l’entraînement de systèmes d’intelligence artificielle. Ces derniers travaillent sans contrat de travail ni prestations sociales, rapporte Le Temps dans un article publié dimanche.
L’annotation de données est un processus d’ajout d’informations supplémentaires à des données afin de permettre à des modèles d’IA de les interpréter correctement. Il s’agit notamment de classer des images en différentes catégories ou de rédiger des commentaires afin de décrire certaines caractéristiques de textes, par exemple les opinions ou les émotions qu’ils expriment. Un travail de «petites mains» indispensable qui est généralement effectué à moindre coût dans des pays du Sud global.
Outlier est une filiale de Scale AI, une des entreprises majeures dans le domaine de l’annotation de données qui a récemment été acquise à 49% par Meta pour 14,3 milliards de dollars. Elle recrute actuellement des étudiants suisses via le réseau social professionnel LinkedIn pour des tâches d’étiquetage de données, de relecture ou d’évaluation de réponses générées par des modèles d’IA.
Ces missions effectuées à domicile sont rémunérées jusqu’à 45 dollars de l’heure et sont payées hebdomadairement via un compte PayPal. Des conditions de travail qui semblent avantageuses mais qui comportent également des inconvénients.
Un compte parfois «désespérément vide»
Les étudiants recrutés par Outlier ne reçoivent pas de contrat de travail ni de versement AVS, une pratique que dénonce Rémy Wyler, avocat et professeur de droit du travail à l’Université de Lausanne. Il estime que l’émergence de plateformes numériques comme Outlier «ne doit pas servir de prétexte à déconstruire la protection sociale des travailleurs, bâtie au fil de décennies en Suisse».
La charge de travail varie fortement, témoigne Florian dans les colonnes du Temps. «Certaines semaines, les missions sont nombreuses et bien rémunérées. D’autres, le compte reste désespérément vide», déplore-t-il. Il ne s’agit donc que d’un travail d’appoint mais pas d’un métier à temps plein.
Maude, elle aussi engagée par Outlier, regrette que la formation obligatoire qui précède les premières missions ne soit pas rémunérée, malgré les promesses de l’entreprise. Pour rentabiliser le temps investi, il faut par conséquent enchaîner les tâches sans interruption. Dans le cas contraire, les étudiantes et étudiants peuvent être exclus et doivent alors suivre à nouveau une formation.
Outlier repose sur une certaine opacité: aucun interlocuteur humain, aucun encadrement clair, tout passe par la plateforme de l’entreprise ou parfois par un forum. Des règles strictes sont tout de même appliquées. Le moindre écart, comme une connexion depuis l’étranger lors d’un voyage, peut entraîner un bannissement définitif, sans possibilité de recours. Juridiquement, «ce cas pourrait être assimilé à un licenciement avec effet immédiat injustifié», explique Rémy Wyler.
L’entreprise a d’ailleurs été accusée de ne pas toujours payer correctement ses travailleurs, rapportent Inc. et TechCrunch.
Une stratégie peu claire
Les missions demandées par Outlier sont simples et «n’importe qui peut les accomplir», selon Florian. Un constat surprenant car Outlier vante le travail de ses «experts» sur son site internet. Dans ce cas, pourquoi l’entreprise recrute-t-elle des personnes qualifiées en Suisse alors qu’elle pourrait se concentrer sur des pays avec des salaires moins élevés?
Paola Tubaro, directrice de recherche au Centre national français de la recherche scientifique (CNRS), pense que la présence de jeunes Suisses bien formés au sein des équipes d’Outlier pourrait servir de message aux investisseurs: «Regardez, nous travaillons avec des talents suisses spécialisés.» Elle souligne toutefois qu’il s’agit pour l’instant d’une hypothèse car le fait d’employer des personnes bien formées en Europe est un phénomène très récent pour cette entreprise.
Outlier revendique plus de 100’000 «experts» à travers le monde, mais le nombre de ses travailleurs en Suisse est inconnu. Scale AI, la société mère d’Outlier, n’a pas souhaité faire de commentaire sur ce point.
Sept nouvelles importantes cette semaine
La Suisse pourrait se doter d’un nouveau site de développement de semi-conducteurs à Zurich (Le Temps)
Des vidéos racistes générées par IA déferlent sur les réseaux sociaux français (Le Monde)
L’entrée en vigueur de l’IA Act, nouveau terrain d’affrontement entre l’Europe et les Etats-Unis (Le Monde)
Palantir Is Extending Its Reach Even Further Into Government (Wired)
OpenAI killed a ChatGPT feature that made some sensitive conversations publicly searchable (The Verge)
Lis les autres articles de la semaine que j’ai sélectionnés en cliquant ici.
🎥 À regarder
L’envers du décor du capitalisme de surveillance
Dans une vidéo publiée lundi, la journaliste Taylor Lorenz explore l’univers controversé des courtiers de données, des acteurs majeurs de la surveillance digitale qui a lieu sur internet.
Elle raconte comment les entreprises de cette industrie mondiale, qui était valorisée à 389 milliards de dollars en 2024, captent des informations personnelles sur des milliards d’internautes afin de créer des profils très précis qu’elles revendent ensuite à des annonceurs, des gouvernements et des polices. Une tendance qui s’est renforcée depuis l’avènement des réseaux sociaux, où les utilisateurs publient eux-mêmes des données parfois sensibles qui alimentent encore davantage cette industrie.
«Dès le début des années 2010, les moteurs de recherche, fournisseurs de messagerie électronique, magasins en ligne, plateformes de streaming, sites d’informations et bien sûr les réseaux sociaux collectaient tous des données sur leurs utilisateurs de façon continue, presque 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Les gens n’avaient aucune idée à quel point leurs vies étaient soudainement devenue visibles pour ces entreprises, en seulement quelques années. Ils ne savaient même pas quelles données étaient collectées, combien de temps elles étaient conservées, qui y avait accès, où quelles décisions étaient prises à partir d’elles.
Du point de vue des utilisateurs, internet avait l’air d’être ce nouvel endroit fascinant plein de liberté et de découvertes et c’était tellement stimulant de pouvoir partager toute sa vie avec le monde entier. Mais en coulisses, l’industrie des courtiers de données était en train de construire un vaste système de surveillance.»
- Taylor Lorenz
Your Phone Isn't Listening, Here's What's Actually Happening
Les courtiers de données enfreignent la vie privée
Dans cette vidéo publiée samedi par Ted Talks, l’avocate Eliza Orlins explique que les courtiers de données aux États-Unis vendent des informations personnelles à des polices et à des procureurs en l’absence de mandat, ce qui va à l’encontre du droit à la vie privée garanti par le quatrième amendement à la Constitution du pays.
«Tout ce que vous avez mis en ligne, tous vos likes, commentaires, même vos stories qui disparaissent [après 24 heures] et vos messages privés, tout cela ne vous appartient plus légalement. Et qu’en est-il des chatbots d’IA comme ChatGPT? Chaque conversation est enregistrée et pourrait un jour être utilisée contre vous devant un tribunal. Vos curiosités tard le soir ou vos scénarios hypothétiques pourraient être mal compris et mal représentés contre vous.»
- Eliza Orlins
Universal surveillance is here—how do we fight back?
Sept vidéos importantes cette semaine
Le deuxième volet de l'IA Act est entré en vigueur ce samedi au sein de l'UE (France 24)
Sam Altman Warns: Privacy Does Not Apply To ChatGPT (Breaking Points)
The UK Just Censored The Entire Internet (Taylor Lorenz)
Palantir and the Conspiracy to Own Everything: The Largest Heist in History (Epoch Philosophy)
How AI Became the New Dot-Com Bubble (Economy Media)
The Internet is Dying: AI, Bots, and The End of Human Content (Vanessa Wingårdh)
Regarde les autres vidéos de la semaine que j’ai sélectionnées en cliquant ici.
🔈 À écouter
Les bunkers des grands patrons de la tech
Dans un nouvel épisode du podcast Dystopia Now, Kate Willet et Émile Torres discutent de plusieurs actualités liées à l’intelligence artificielle.
Ils abordent notamment le fait que les Big Tech aux États-Unis vont travailler avec l’administration Trump pour construire «un écosystème de santé digital» assisté par l’IA et les risques que cela représente, notamment en terme de surveillance et de protection des données personnelles.
Ils parlent également des bunkers que de nombreux patrons de la tech aux États-Unis ont fait construire pour se protéger en cas d’effondrement écologique, d’une guerre nucléaire ou de crises sociales majeures.
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Bonne semaine et à dimanche prochain,
Arnaud